Parmi les déficiences qui s’associent à la surdité, la déficience vestibulaire est fréquemment retrouvée, du fait de la proximité du vestibule et de la cochlée ainsi que des liens entre les voies auditives et vestibulaires. En association avec la surdité, les atteintes apparaissent dans des étiologies diverses telles certaines maladies infectieuses (Cytomégalovirus par exemple) ou certains syndromes plurimalformatifs, héréditaires ou non. Ces atteintes sont constantes dans le syndrome CHARGE et sont caractéristiques du syndrome de Usher de type 1.
1. Rappel anatomo-physiologique :
Le système vestibulaire 1 est un système complexe qui comprend :
- au niveau de l’oreille interne : les canaux semi-circulaires et les organes
otolithiquesL’appareil vestibulaire est constitué d’une série de cavités membraneuses remplies de liquide (l’endolymphe) et prolonge, dans l’os temporal, la partie de l’appareil auditif situé dans l’oreille terne. Les cellules sensorielles réceptrices qui baignent dans l’endolymphe sont les cellules ciliées, comme dans la cochlée. Elles sont sensibles aux stimulations mécaniques provoquées par la force d’inertie imprimée à l’endolymphe lors des mouvements de la tête. Les organes otolithiques sont spécialisés pour répondre aux accélérations linéaires de la tête dans les plans horizontal et vertical. Les cellules du système otolitique sont également actives lorsque
la tête est en position statique. Les canaux semi-circulaires répondent à des accélérations angulaires et sont à la base du réflexe vestibulo-oculaire ou RVO. - au niveau central : les noyaux vestibulaires du tronc cérébral et leurs
connexions cérébelleuses et corticales
La stimulation mécanique des cellules ciliées vestibulaires donne naissance à un influx nerveux qui chemine dans les fibres vestibulaires. Les prolongements centraux de ces fibres forment, avec les fibres auditives, la branche vestibulaire de la VIIIème paire crânienne. Les fibres se projettent dans le tronc cérébral au niveau des noyaux vestibulaires qui reçoivent
aussi des projections du cortex cérébral, du cervelet et des autres noyaux du tronc cérébral.
A partir des noyaux vestibulaires, les projections sont constituées :
- de fibres ascendantes vers plusieurs zones du cortex cérébral (cortex pariétal, cortex insulaire, cortex somesthésique, cortex prémoteur, régions frontales notamment le cortex oculo-moteur frontal, cortex para-hippocampique) et vers le cervelet,
- de fibres descendantes vers la moelle épinière et les noyaux oculo-moteurs du tronc cérébral.
Les atteintes peuvent concerner tous les niveaux de ce système complexe. Elles peuvent être périphériques et concerner l’appareil vestibulaire lui-même (par exemple, dans le syndrome CHARGE, en cas d’agénésie des canaux semicirculaires). Elles peuvent être également centrales et concerner le complexe des noyaux et ses connections cérébelleuses et corticales. Les atteintes peuvent être uni ou bi-latérales.
Chez l’enfant, les atteintes vestibulaires sont le plus souvent des atteintes très précoces.
2. Rôle du système vestibulaire dans le développement de l’enfant
Le système vestibulaire contribue au développement tonico-moteur de l’enfant ainsi qu’à la structuration de son schéma corporel :
D’une part, il renseigne sur les déplacements du corps et de la tête dans
l’espace et ce faisant, participe à l’équilibration du corps et à la stabilisation du regard (réflexe vestibulo-oculaire) lorsque le corps et la tête sont en
mouvement. Le système vestibulaire détecte les accélérations et intervient donc lors des mouvements rapides de la tête. Il participe avec l’ensemble du système proprioceptif et visuel à l’ajustement progressif des différents schèmes composant le mouvement et à l’acquisition d’une certaine fluidité dans le déroulement de celui-ci.
La posture et le tonus musculaire sont ainsi modulés en continu.
D’autre part, il renseigne sur la position du corps et de la tête dans l’espace et, ce faisant, contribue à l’intégration des coordonnées spatiales liées au corps propre. Selon Alain Berthoz, le rôle du système vestibulaire serait central dans l’élaboration de cadres de références spatiaux servant à l’organisation de notre espace d’action ego-centré. La représentation de la spatialité au niveau du corps propre se construit progressivement, sous l’effet de l’expérience, grâce à l’intégration des afférences vestibulaires, kinesthésiques, tactiles et visuelles. Au cours de cette intégration le rôle des informations d’origine vestibulaire est essentiel car elles permettent l’élaboration d’un référentiel spatial égocentré autour duquel s’organisent
les autres afférences sensorielles. Les informations vestibulaires sont notamment essentielles dans l’estimation de l’axe corporel (la verticale subjective) et probablement aussi dans la représentation des trois plans de l’espace (2)
La constitution d’un référentiel spatial corporel ego-centré stable et différencié permet à l’enfant de se préparer efficacement à sa propre action. Il s’ensuit que, progressivement, l’enfant peut automatiser des mouvements complexes composés d’enchaînements rapides de schèmes élémentaires et se déroulant en référence aux coordonnées du corps propre. C’est le cas de l’automatisation des mouvements impliqués dans l’écriture cursive ou de l’automatisation des enchaînements complexes de mouvements opérés par la tête et le regard dans un acte de lecture.
L’intégration harmonieuse de ce référentiel ego-centré pourrait aussi avoir une incidence sur le bon développement de capacités d’anticipation et d’analyse rapide des enchaînements de mouvements complexes adressés à l’enfant par autrui. C’est la tâche à laquelle un enfant sourd se trouve confronté lorsqu’il doit analyser un message signé ou codé par autrui.
3. Conséquences d’une atteinte vestibulaire précoce chez l’enfant sourd :
Les hypothèses qui vont suivre sont le fruit d’une réflexion que nous menons depuis de nombreuses années au Centre de Ressources Robert Laplane, réflexion élaborée à partir de l’expérience clinique que nous avons de ces enfants qui présentent une double atteinte sensorielle, auditive et vestibulaire.
Ces hypothèses rencontrent les conclusions de travaux menés en recherche
fondamentale par plusieurs équipes notamment par l’équipe du Laboratoire de Physiologie de la Perception et de l’Action du Collège de France – URM 7152, dirigé par Le Professeur A. Berthoz.
Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un protocole de recherche sur ce sujet.
Chez l’enfant déficient auditif, l’atteinte vestibulaire peut avoir des incidences graves. Elle est en effet susceptible de perturber non seulement son équilibre, sa prise d’information visuelle et l’intégration fine de sa spatialité corporelle, mais aussi d’entraver ses moyens de suppléance pour l’acquisition de la langue orale ou gestuelle.
En effet, le vestibule ne remplit alors ni ses fonctions de contrôle postural et de stabilisation du regard, ni son rôle de référentiel spatial ego-centré (ou les remplit seulement en partie). Non seulement l’expérience motrice et visuelle précoce est susceptible d’être perturbée mais également l’intégration du schéma corporel et l’automatisation des enchaînements de mouvements complexes et rapides se déroulant en référence au corps propre. Pourraient être concernés aussi bien les mouvements rapides des mains que les mouvements du regard et peut-être même les mouvements articulatoires.
Certaines de ces perturbations s’exerceront très précocement :
L’impact de la déficience posturale et du trouble du regard est manifeste dès les premiers mois de la vie. Les troubles ont une incidence plus ou moins importante sur la capacité de tenue de la tête et/ou sur le maintien de la fixation visuelle lorsque la tête est en mouvement. La captation par le regard d’une suite d’informations visuelles provenant de sources différentes sera difficile et coûteuse, par exemple :
passer du visage de la mère à l’objet désigné par son regard et son geste. Dès lors c’est le bon développement de ses capacités visuo-attentionnelles qui pourra être perturbé, capacités particulièrement nécessaires pour un enfant privé d’audition. De même, les premiers échanges infra-verbaux entre la mère et son enfant pourraient être altérés.
D’autres perturbations auront une incidence plus tardive, au cours du
développement et particulièrement sur le développement du langage :
- En ce qui concerne l’acquisition de la LSF :
Les difficultés d’automatisation des enchaînements de mouvements, en production comme en analyse, pourraient avoir des effets négatifs sur l’expression comme sur la compréhension de la LSF dans ses aspects séquentiels, c’est-à-dire sur l’expression et sur la compréhension de la phrase et/ou du discours. - En ce qui concerne l’acquisition de la langue orale :
Les difficultés d’analyse rapide des enchainements de mouvements comme
probablement les difficultés d’analyse topologique corporelle3
Chez l’enfant sourd implanté, la qualité de la réhabilitation auditive risque d’occulter les conséquences éventuelles des atteintes vestibulaires sur l’acquisition du langage. , mais aussi peut-être les difficultés de production d’enchaînements des mouvements articulatoires, pourraient avoir des effets négatifs sur l’acquisition de la langue orale et aggraver les difficultés déjà existantes du fait de la surdité.
4. Importance de l’exploration systématique de la fonction vestibulaire chez l’enfant déficient auditif :
L’importance du rôle joué par les fonctions vestibulaires et la portée des troubles vestibulaires chez l’enfant sourd ont été longtemps méconnus alors même que leur retentissement sur le développement perceptivo-moteur est majeur. En effet, les moyens de suppléance dont dispose l’enfant déficient auditif pour accéder au langage reposent en grande partie sur l’intégrité de ces fonctions.
Compte tenu de ces observations, chez tout enfant déficient auditif qui manifeste des difficultés inhabituelles d’accès à la parole et/ou au langage orale et signé et qui, de surcroît, présente une gêne importante en ce qui concerne la régulation du tonus ou le maintien des équilibres, il est nécessaire de faire pratiquer un examen vestibulométrique. Cet examen permet d’explorer à la fois l’état anatomique de l’appareil vestibulaire et la fonction vestibulaire. Celle-ci est maintenant systématiquement
explorée chez l’enfant sourd dans le cadre des bilans pré- et post-implant pratiqués dans certains services hospitaliers (4).
La connaissance de la déficience vestibulaire permettra d’apporter un nouvel
éclairage à la compréhension de certaines difficultés inhabituelles que rencontre l’enfant dans le développement de sa communication et dans ses apprentissages.
Elle pourra aider également à adapter les stratégies de prise en charge tant au niveau pédagogique que dans les rééducations. Il faudra notamment tenir compte du coût énergétique occasionné par les efforts incessants, d’ordre postural, moteur ou attentionnel, que l’enfant doit réaliser pour pouvoir compenser ses difficultés.
Pour en savoir plus :
• Liens avec la bibliographie du site du centre de ressources : section
« Fonctions vestibulaires et proprioception ».
• Sur le WEB : site de diffusion des savoirs de l’école normale supérieure,
accès par conférencier : Pr Alain Berthoz.
1. Voir schéma :
http://acces.inrp.fr/acces/ressources/neurosciences/vision/VisionMarseille/refelx_vestib_ocul/?searchterm=ternaux
2. L’argument essentiel en faveur de cette dernière hypothèse est le suivant : les orientations des canaux semi-circulaires sont
identiques à celles des muscles des yeux permettant de réaliser les mouvements oculaires dans les trois plans de l’espace.
L’organisation visuelle de l’espace proche pourrait ainsi ne pas être étrangère à cette géométrie en quelque sorte imposée par
les canaux semi-circulaires (cf. Berthoz A., Le sens du mouvement, O. Jacob, Paris, 1997, p. 73.)
3. Ces capacités d’analyse séquentielles et topologiques sont particulièrement à l’œuvre dans le traitement du Langage Parlé
Complété (LPC)
4. Le Docteur S. Wiener-Vacher, à l’hôpital Robert Debré à Paris, est à notre connaissance une des seules à avoir systématisé
la pratique de cet examen.