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Version juillet 2022
Deux populations de handicap rare ont été confiées au Centre National Ressources Robert Laplane (CNR-RL) : les personnes atteintes de surdité avec déficiences ou troubles associées et les personnes atteintes de « Troubles Complexes du Langage ».
Cette appellation « Troubles Complexe du Langage » (TCL), a été proposée par le CNR-RL il y a quelques années et n’apparait dans aucune nosographie. Outre le fait qu’elle est susceptible d’évoluer, un éclairage s’impose au sujet des raisons qui ont prévalues à un moment de l’histoire du centre de ressources pour proposer cette définition.
Eléments de contexte :
La principale difficulté concernant cette définition porte sur le point de savoir à quoi réfère exactement le qualificatif « complexe » : à la complexité diagnostique des troubles du langage ou bien à la complexité de la situation de handicap de la personne atteinte de TNDL (Troubles Neurodéveloppementaux Du Langage) ? Et, par ailleurs, pourquoi avoir rapproché cette population de la population des personnes sourdes avec troubles associés ?
Un petit détour historique peut nous permettre de progresser dans la levée de cette difficulté.
Tout d’abord la terminologie employée pour qualifier cette population lorsqu’elle a été confiée au CNR-RL ne faisait pas référence à la complexité mais à une classe nosologique connue, « la dysphasie » qualifiée de « grave » et « associée à d’autres troubles et déficiences ». Une définition qui était donc centrée sur le diagnostic des troubles.
Or deux types d’évolution ont eu lieu ces vingt dernières années : une évolution des définitions relatives aux troubles du langage ainsi qu’une évolution de la notion de handicap elle-même. Le croisement de ces évolutions nous a fait passer d’une terminologie basée sur l’exclusion réciproque des troubles (définition des troubles par type de dysphasie par exemple) et centrée sur la déficience à une définition centrée sur le fonctionnement global de la personne et l’interaction de l’ensemble de ses troubles et compétences avec des facteurs contextuels, aussi bien personnels qu’environnementaux.
C’est dans le contexte de ces évolutions que le mot » dysphasie » a disparu de notre dénomination et qu’est apparu la référence à la complexité, référence concernant à la fois à la personne, l’interaction de ses troubles et compétences et l’interaction de l’ensemble de ceux-ci avec son environnement (cf. notion de parcours de vie).
Repérer les troubles et les nommer
En 2015, les catégories nosologiques et la dénomination des troubles du langage ont été modifiées à l’issue des concertations qui ont eu lieu en vue de la publication du DSM V. Sont alors apparus les termes de Troubles Neurodéveloppementaux. Faisant partie à cette large catégorie, sont décrits les Troubles Neurodéveloppementaux du Langage (TNDL).
Cependant, à l’épreuve de la réalité du terrain les terminologies proposées par le DSM V ne se sont pas révélées entièrement satisfaisantes.
C’est pourquoi en 2016 et 2017, Bishop et al ont entrepris un vaste travail d’enquête réunissant plusieurs équipes à un niveau international, l’objectif étant de mettre à jour grâce à un consensus concernant l’identification des enfants avec troubles du langage, l’évaluation, le diagnostic et la terminologie à utiliser (Référence des travaux : Bishop, D.V., Snowling, M ; J., Thompson, P. A., Greenhalgh, T., et Catalise Consortium (2016). CATALISE : A multinational and multidisciplinary Delphi consensus study. Identifying language impairments in children )
Ce travail nous permet de considérer cette population par rapport à l’ensemble des personnes atteintes de troubles neurodéveloppementaux du langage (TNDL)
Comme les enfants TNDL, les enfants TCL sont atteints d’un trouble du langage congénital, sévère et durable.
Comme pour les enfants TNDL, le langage est entravé aussi bien sur le plan de la compréhension que de l’expression et touche plus ou moins différents aspects des compétences langagières (syntaxe, morphologie, lexique, sémantique…) ainsi que la pragmatique du langage
Comme les TNDL, « ce sont des enfants qui ont des problèmes persistant en compréhension ». Plus généralement, ce sont des enfants qui présentent des difficultés dans le traitement de l’information quelque soit la modalité au moyen de laquelle est perçu cette information. D’où le rapprochement avec la population des enfants sourds avec troubles associés.
Encore plus précisément et pour faire référence au travail de Bishop et al ce qui caractérise les enfants TCL, c’est la présence de troubles concomitants.
Le trouble du langage se développe dans un tableau pathologique complexe faisant apparaitre la concomitance de perturbations d’une ou plusieurs déficiences neurophysiologiques et cognitives. Ces perturbations affectent particulièrement le traitement de l’information, que celle-ci soit visuelle, auditive, motrice ou proprioceptive.
L’évaluation de l’ensemble de ces troubles et de leurs interactions doit être « minutieuse et progressive » et complétée par une évaluation des compétences de façon à obtenir un profil de fonctionnement global de la personne. La difficulté porte particulièrement sur l’évaluation des troubles de compréhension et plus généralement des troubles de traitement et/ou de captation de l’information (les troubles neuro-visuels par exemple) qui sont très souvent sous-estimés.
Ces troubles ont par ailleurs un impact important dans le pronostic de développement. C’est pourquoi il y a nécessité d’un dépistage précoce afin de limiter le développement de comorbidités.
Accompagner les parcours de vie
Comme nous l’avons mentionné, le terme « complexité » ne fait pas seulement référence à la personne mais aussi aux interactions personne/environnement autrement dit aux ressources qui pourraient permettre de répondre au mieux aux besoins de la personne.
Comme nous venons de le voir, la délimitation catégorielle et étiologique des pathologies du langage n’est pas terminée. Les recherches dans les champs des sciences médicales et sociales sont encore en cours.
Il faut bien cependant repérer ces personnes, les accompagner ainsi que leurs familles, aussi bien sur les plans pédagogique et éducatif ainsi que dans leur parcours de soin. Cela s’avère en effet indispensable au développement de l’ensemble de leurs compétences.
A la complexité de l’établissement d’un diagnostic fonctionnel global des compétences des personnes vient s’ajouter la complexité de leur parcours de vie notamment en termes institutionnels. Cette complexité place donc ces personnes et leur entourage dans une situation de Handicap Rare.
La définition du HR associe trois niveaux de rareté (cf ; graphique ci-dessous) Le réseau intégré pour le Handicap Rare a donc plusieurs pour missions non seulement de repérer et d’évaluer les besoins des personnes mais aussi d’accompagner la création de réponses institutionnelles.
Mais alors, qui peut aujourd’hui accompagner ces situations, accompagnement qui nécessite une réflexion approfondie quant à la spécificité des pratiques ?
Le rapprochement entre les deux populations confiées au CNR-RL n’est pas un hasard. Les structures accueillant traditionnellement des enfants présentant une déficience auditive, expertes dans les adaptations linguistiques indispensables à l’accompagnement de ses personnes ouvrent progressivement, leurs portes aux jeunes présentant des Troubles Complexes du Langage. Cependant, les réponses territoriales restent rares et sont inégalement réparties sur le territoire français.
Le CNR-RL œuvre donc, au sein du dispositif intégré Handicap rare, à la fois à la transmission des démarches d’évaluation fonctionnelle des situations qui doivent être « progressives et minutieuses » mais également à l’accompagnement de l’amélioration des réponses territoriales.
Un webinaire (une conférence en ligne interactive) pour parler des troubles complexes du langage
Les intervenants :Véronique Le Ral et Audrey Constant Veronique Le Ral, Orthophoniste Audrey Constant, psychologue-neuropsychologue Centre national de Ressources Handicaps rares Laplane |
Regards croisés autour de la situation de trois enfants